Un nouvel outil contre les tumeurs résistantes. En France actuellement, la moitié des traitements anticancéreux utilisent les rayons très énergétiques produits par la radioactivité. La stratégie thérapeutique mise au point à l'Institut Curie va bientôt être testée sur l'homme. Beau cadeau pour l'Institut Curie - il fêtera son 100e anniversaire cette année - que la découverte par ses chercheurs d'un moyen de rendre sensible à la radiothérapie des cancers encore très difficiles à guérir, tels que les glioblastomes ou les mélanomes. Actuellement, la moitié des traitements anticancéreux en France utilise les rayons très énergétiques produits par la radioactivité. Ils doivent leur efficacité aux cassures massives de l'ADN qu'ils entraînent, particulièrement nocives pour les cellules tumorales en pleine prolifération : lorsqu'elles n'arrivent plus à réparer leur ADN, elles se suicident par un processus dit de mort programmée ou apoptose. Pourtant, certains cancers arrivent à résister à la radiothérapie et aux dégâts qu'elle cause dans leur ADN. Pour les prendre de vitesse, Marie Dutreix et son équipe «recombinaison et instabilité des génomes» de l'Institut Curie ont eu l'idée d'amplifier l'effet des rayons sur ces cellules. «Il nous fallait trouver le moyen de désarmer les cellules, explique Marie Dutreix, arriver à empêcher la réparation de leur ADN au point de rendre irréversibles les dommages du rayonnement.» Pour explorer cette possibilité, déjà tentée à plusieurs reprises par le passé, les chercheurs ont eu recours à un stratagème ingénieux : détourner par de petits leurres les enzymes chargées de réparer l'ADN après l'action des rayons. Ils annoncent dans la revue Clinical Cancer Research avoir réussi à mettre au point de tels leurres. «Dépourvue de toxicité» Appelés «Dbait», ces petits fragments d'ADN sont capables de mimer le génome endommagé et de mobiliser loin de lui son appareil de réparation. Résultat, une fois introduits dans les cellules cancéreuses, celles-ci deviennent sensibles aux rayons ionisants utilisés en radiothérapie. Mieux, l'injection des Dbait dans des souris qui portaient des tumeurs radiorésistantes a rendu la radiothérapie efficace sur ces animaux et permis, pour la première fois, d'en sauver plus de la moitié. «Cette approche, entièrement nouvelle, présente plusieurs avantages, résume Marie Dutreix. Elle est d'abord dépourvue de toxicité pour les tissus sains environnant la tumeur, ce qui est loin d'être le cas des chimiothérapies qui accompagnent souvent la radiothérapie. Ensuite, contrairement à un médicament, elle vise un mécanisme général, la réparation de l'ADN, ce qui rend moins probable l'émergence d'une résistance des cellules cancéreuses au traitement.» Ces travaux sont à l'origine de trois brevets déposés conjointement par le CNRS, le Muséum national d'histoire naturelle, l'Inserm et l'Institut Curie, mais aussi de la création d'une entreprise de biotechnologie, DNA Therapeutics. Installée au Génopole d'Évry et dirigée par l'un des auteurs de ces travaux, le professeur Jian-Sheng Sun, elle sera chargée à la fois du développement des Dbait en un véritable produit thérapeutique et de la mise en place des premiers essais cliniques. Pour relever ces défis, la société va multiplier par mille les quantités de Dbait produites et faire appel à des sociétés déjà spécialisées dans la vectorisation de ce type de molécules afin de les rendre plus facilement absorbables par l'organisme. L'injection des Dbaits dans les tumeurs bénéficiera aussi de l'expertise en ciblage par imagerie des radiothérapeutes de l'Institut Curie. Grâce à des procédures administratives accélérées, les premiers essais pourraient débuter en 2011 dans quatre centres parisiens : ils porteront sur des patients atteints de mélanome ayant déjà atteint le stade de métastases locales. S'ils sont concluants, estime Marie Dutreix, l'usage des Dbait pourrait même se généraliser à toutes les radiothérapies : leur intérêt serait alors, en permettant de réduire les doses de rayonnement efficaces, de limiter l'ampleur des destructions qu'elles entraînent dans le reste des organes traités.